Un itinéraire buissonnier, à Lyon,
au temps de la Renaissance...
.... nous mènerait immanquablement sur les pas des poètes amoureux (pléonasme ?)… au musée Gadagne, sur les quais du Rhône ou de la Saône, à Fourvière…Les couples de Maurice Scève (1500 ?-1562) et de Pernette du Guillet (1520-1545), de Louise Labé surnommée la Belle Cordière (1524-1566) et d’Olivier de Magny (1529-1561) sont en effet les figures principales de ces poètes lyonnais qui composèrent une manière d’école. Les femmes tinrent une place de premier plan par leurs « salons » dans cette vie littéraire lyonnaise et ne le cédèrent en rien aux poètes masculins, leurs amants.
Deux cercles principaux, aux environs de 1536, se partageaient la vie intellectuelle de Lyon. Du premier témoigne encore le bel hôtel Gadagne (désormais musée…qu’on pourrait visiter : il serait le porche de cet itinéraire…) construit par les frères lyonnais Pierre Vive et racheté par les Gadagne, riches banquiers florentins. Autour de Marie-Catherine de Pierre Vive (Dame du Peron) se réunissaient des gens du monde et des poètes parmi lesquels Clément Marot, de passage à Lyon – (est-ce là qu’il rencontra celle qu’il devait célébrer dans l’Adolescence clémentine (1532), « Jeanne Gaillarde, de Lyon, femme de bon savoir » ?). Le deuxième cercle portait le nom de Sodalitium (la confrérie [1] ) et se réunissait autour des ateliers des imprimeurs Sébastien Gryphe et Jean de Tournes (Lyon était l’une des capitales européennes de l’imprimerie) ou du Collège de la Trinité créé par Symphorien Champier. (Les rues qui portent leur nom conservent leur souvenir…). Les réunions avaient lieu chez Guillaume Scève, cousin de notre poète. Les sodales (compagnons) se devaient de faire l’éloge de leurs camarades – éloge de leur science, de leurs qualités morales et, par dessus-tout des beautés de la maîtresse de leur cœur…
Maurice Scève qui vivait dans le souvenir de Pétrarque et de Laure, célébra dans la Délie (1544) Pernette du Guillet rencontrée à Lyon entre Saône et Rhône, entre Saône et Fourvière (« Ton haut sommet, ô Mont à Vénus sainte » Dizain XCV). Pernette ne cessa pas de l’appeler à un amour chaste entre tous ainsi qu’il en témoigne lui-même :
Mont cotoyant le Fleuve et la Cité [2]
Perdant ma vue en longue prospective
Combien m’as-tu, mais combien incité
A vivre en toi vie contemplative ?
(Dizain CDXII)
Mais Maurice Scève décrivant la situation générale de la ville de Lyon ne voit dans le confluent du Rhône et de la Saône qu’une image des noces et du mariage qu’il aurait espéré :
Ce n’est Plancus qui la Ville étendit
La restaurant au bas de la montagne
Mais de soi-même une part détendit
Là, où Avar les pieds des deux Monts baigne ;
L’autre sauta de là vers la campaigne
Et pour témoin aux noces accourait.
Celle pour voir si la Saône courait,
S’arrêta toute au son de son cours lent.
Et cette, ainsi qu’à présent, adorait
Ce mariage entre eux tant excellent.
(Dizain CCCXCV)
Pernette étant mariée, l’union souhaitée par le poète était impossible :
Et toi, ô Rhône, en fureur et grand’ire
Tu viens courant des Alpes roidement
Vers celle-là qui t’attend froidement,
Pour en son sein tant doux te recevoir.
Et moi, suant à ma fin grandement,
Ne puis ne paix ne repos d’elle avoir.
(Dizain CCCXCVI)
Ailleurs encore le poète interpelle Délie – le désir amoureux se faisant désir de fusion dans la mort :
N’aperçois-tu de l’Occident le Rhône
Se détourner, et vers midi courir,
Pour seulement se conjoindre à sa Saône
Jusqu’à leur Mer, où tous deux vont mourir.
( Dizain CCCXLV)
A ces appels pressants du poète d’une vingtaine d’années son aîné Pernette du Guillet devait répondre par d’exquises et fraîches Rymes publiées chez Jean de Tournes (1545 : un an après la Délie), toute empreintes de platonisme. A la « belle histoire d’amour et de mort » que figurait l’union du Rhône et de la Saône s’oppose cet appel à une ardeur amoureuse, émulation vertueuse, triomphant de la Mort par sa clémence et sa vigueur :
C’est une ardeur d’autant plus violente
Qu’elle ne peut par Mort ni temps périr.
Car la vertu est d’une action lente,
Qui tant plus va, plus vient à se nourrir.
Mais bien d’Amour la flamme on voit mourir
Aussi soudain qu’on la voit allumée,
Pour ce qu’elle est toujours accoutumée,
Comme le feu, à force et véhémence :
Et celle-là n’est jamais consumée :
Car sa vigueur s’augmente en sa clémence.
(Rymes, XLII)
Contrastant avec cette Pernette du Guillet, tout acquise au platonisme de Marsile Ficin, Louise Labé, surnommée « La Belle Cordière » qui tint salon rue Confort a célébré un amour le plus sensuel : on comprend ainsi, au seuil de ses écrits, l’avertissement qu’elle y mit :
Quand vous lirez ô Dames Lyonnaises
Ces miens écrits plein d’amoureuses noises
(…)
Ne veuillez point condamner ma simplesse
Et jeune erreur de ma folle jeunesse,
Si c’est erreur.
(Elégie, III)
D’elle se serait épris Olivier de Magny passant par Lyon alors qu’il se rendait à Rome comme en témoigne Aragon :
Ce coup du ciel à jamais les sépare
Rien ne refleurira ces murs noircis
Et dans nos cœurs percés de part en part
Qui sarclera ces fleurs de la merci
Ces fleurs couleur de Saône au cœur de l’homme
Ce sont les fleurs qu’on appelle soucis
Olivier de Magny se rend à Rome
Et Loyse Labé demeure ici.
(Les yeux d’Elsa, 1942)
Après le dialogue poétique qu’avaient entretenu à Lyon Maurice Scève et Pernette du Guillet, celui de Louise Labé et Olivier de Magny devait trouver son illustration éclatante dans deux sonnets, imités de Pétrarque, en écho. C’est par ce chant amébée que nous conclurons cette promenade amoureuse et poétique à Lyon :
O beaus yeus bruns, ô regars destournez,
O chaus soupirs, ô larmes espandues,
O noires nuits vainement atendues,
O jours luisans vainement retournez :
O tristes pleins, ô désirs obstinez,
O tems perdu, ô peines despendues,
O mile morts en mile rets tendues,
O pires maus contre moi destinez.
O ris, ô front, cheveux, bras, mains et doigts :
O lut pleintif, viole, archet et vois :
Tant de flambeaus pour ardre une femelle !
De toy me plein, que tant de feus portant,
Et Tant d’endrois d’iceus mon cœur tatant,
N’en est sur toy volé quelque estincelle.
Louise Labé – Œuvres (1555, privilège 1554)
O beaux yeux bruns, ô regards destournez,
O chaults souspirs, ô larmes espandues,
O noires nuicts vainement attendues,
O jours luysans vainement retournez :
O tristes pleints, ô désirs obstinez,
O tens perdu, ô peines despendues,
O mille morts en mille retz tendues,
O pire maulx contre moy destinez :
O pas espars, ô trop ardente flame
O douce erreur, ô pensers de mon ame,
Qui ça, qui là, me tournez nuict et jour,
O vous mes yeux, non plus yeux mais fonteines,
O dieux, ô cieux et personnes humaines,
Soyez pour dieu tesmoins de mon amour.
Olivier de Magny – Les Souspirs (1556)
[1] Nul doute que les khâgnes de Lyon sont les héritières de cette sodalitium lugdunense…
[2] Entendons Fourvière (qu’une étymologie populaire rattachait à Vénus : Forum Veneris) face au Rhône et à Lyon…